Des crédits ou des primes ?
Aujourd’hui, deux grandes méthodes de financement se distinguent : la génération de crédits carbone et la mise en place de primes filières. Quels sont les avantages et inconvénients des uns et des autres ?
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« À l’heure actuelle, nous n’avons pas encore trouvé, au niveau français, l’équation économique qui permettrait d’attirer l’ensemble des agriculteurs dans la transition », affirme Simon Aimar, directeur du Naca. C’est pourquoi coopératives et négoces cherchent des solutions afin de rémunérer les efforts de leurs agriculteurs. Deux méthodes ont le vent en poupe : les crédits carbone et les primes filières.
S’appuyer sur le label bas-carbone
Mis en place par le ministère de la Transition écologique en 2019, le label bas-carbone est une des solutions utilisées pour financer la transition des exploitations. Il offre un cadre de certification qui récompense les efforts des acteurs forestiers et agricoles qui améliorent leur bilan carbone, selon des méthodologies validées par le ministère. En agriculture, deux méthodes sont plébiscitées : la méthode grandes cultures et Carbon’Agri pour les élevages bovins. Elles définissent le cadre technique du projet, stipulent son objectif (réduction des émissions ou stockage du carbone), identifient les leviers utilisés, et si les émissions évitées sont directes, indirectes ou anticipées.
« Un projet bas-carbone doit respecter certaines règles comme celle de l’additionnalité, qui stipule que le projet n’aurait pas pu voir le jour sans financement externe, souligne Jean-Marc Lévy, fondateur de Carbone Farmers. Il doit également être quantifiable, unique et offrir un stockage à long terme ainsi que des cobénéfices sociaux ou environnementaux. Sa labellisation assure sa mise en œuvre et son financement pour cinq ans. »
Carbone Farmers fait partie des opérateurs carbone, tout comme France Carbon Agri, Stock CO2, ReSoil… Ces structures intermédiaires se sont créées en même temps que le label bas-carbone pour jouer le rôle d’intermédiaires entre le porteur de projet, l’État et l’acheteur. Leur rôle est d’accompagner le porteur de projet dans la construction de son plan de décarbonation, via la mise à disposition d’outils pour le suivi et l’évaluation de la réduction des émissions, la réalisation des démarches administratives auprès de l’État et la commercialisation des crédits carbone (lire encadré ci-dessous).
À ce jour, 1 560 projets labellisés ont été dénombrés (5,462 Mt équivalent CO2 réduites ou stockées), dont la moitié est d’origine agricole (2,732 Mt). Ils génèrent des crédits carbone dits « de contribution », qui peuvent être cédés à des financeurs (entreprises, collectivités territoriales, particuliers) souhaitant contribuer volontairement à la neutralité globale, au-delà de la réduction de leurs propres émissions. Le prix des crédits n’est pas défini par le ministère mais par le porteur de projet qui fixe un minimum. Gage ensuite aux opérateurs de les vendre. Les méthodes du label bas-carbone ainsi que son cadré réglementaire sont en cours de révision par le ministère afin d'élargir son application à d'autres élevages et rendre ses crédits plus compatibles avec les standards européens et internationaux.
Certains OS font aussi le choix d’une labellisation internationale de leurs crédits (Gold Standard ou Verra) via Soil Capital, Cargill ou encore Gaïago.
Stimuler l’offre dans les territoires
Cependant, l’offre de crédits carbone français ne rencontre pas toujours sa demande. D’abord, parce que les acheteurs, souvent des grands groupes, choisissent des crédits moins chers à l’international plutôt que des français qui coûtent en moyenne 40 €/t. Ensuite, parce que les projets agricoles sont plus difficiles à appréhender et coûteux que des projets forestiers. « Investir dans la plantation de haies ou d’arbres est souvent plus parlant pour les collaborateurs d’une entreprise ou d’une collectivité que l’évolution des pratiques des agriculteurs », révèle Guillaume Panthou, cofondateur et directeur commercial de Stock CO2.
Pour stimuler la demande de crédits carbone au cœur des territoires, le Crédit Agricole et France Carbon Agri ont instauré la plateforme Carbioz. « Disponible en ligne, elle simplifie les procédures et assure plus de transparence et de traçabilité pour les acheteurs », précise Fanny Boileau, responsable entreprises projets agriculture bas-carbone chez France Carbon Agri.
Malgré ces dispositions, Étienne Lapierre, responsable Innovation chez Terrasolis, n’observe pas un déploiement massif du label dans son territoire. « Le projet CarbonThink, lancé fin 2019, a pourtant montré qu’il est possible de réduire de 20 % les émissions de GES des fermes de grandes cultures du Grand Est, en jouant notamment sur l’amélioration de la fertilisation azotée et le développement de cultures intermédiaires », informe-t-il. Dès lors, comment expliquer ce paradoxe ? « Les pratiques restent plus coûteuses que la plus-value apportée par les crédits carbone. » Pour Guillaume Panthou, « il faut garder en tête que la rémunération carbone actuelle reste un outil, une sorte de 13e mois, et non une activité à part entière ».
Contractualiser pour embarquer l’aval
Autre solution : les démarches filières. « Elles sont encouragées par les agro-industriels ou les groupes de taille moyenne, qui souhaitent décarboner leur Scope 3 en réduisant les émissions de l’amont pour répondre aux standards de type SBTi », explique Édouard Lanckriet, directeur de la stratégie chez Agrosolutions, organisme expert pour le label bas-carbone.
Contrairement au label français, le cahier des charges est privé et intègre des démarches plus abouties, relevant souvent de l’agriculture régénératrice. Les efforts sont valorisés par des primes, financées en grande partie par les acteurs de l’aval. Un exemple emblématique est le programme Transitions de Vivescia. Financé à 90 % par des acteurs de l’aval et 10 % par la coopérative, il offre aux agriculteurs une prime à l’hectare, selon le niveau de performance atteint (lire p. 30).
Viser le multifinancement
Mais les primes filières ne suffisent pas non plus à couvrir le coût de la transition, en plus d’être cantonnées à une seule culture. « C’est pourquoi il est important de continuer, au niveau des pouvoirs publics, à travailler le levier des crédits carbone », poursuit Edouard Lanckriet. « L’enjeu est le multifinancement », complète Carole Le Jeune, responsable carbone à La Coopération agricole.
Pour Luc Bailly, cofondateur de ReSoil et directeur des partenariats agricoles, « les crédits carbone facilitent la transition, en attendant la généralisation de primes filières à un maximum de cultures ». En effet, « les primes rétribuent à la fois les agriculteurs déjà engagés et ceux en transition, tandis que le label n’est adapté qu’à ceux dont la marge de progrès est importante », complète Lise Andreux, cheffe de projet transition agricole.
C’est ainsi que ReSoil ou Carbone Farmers se diversifient en accompagnant la construction de stratégies hybrides, mêlant label bas-carbone et primes filières. Tereos, Unéal et Ingredia mutualisent par exemple la réalisation de bilans carbone chez leurs adhérents communs pour ensuite leur proposer divers leviers de valorisation (lire p. 29). Cérèsia teste aussi le couplage de divers programmes : primes filières sur le colza, crédits carbone français et internationaux (Cargill) (lire p. 32).
« Seulement, la décarbonation représente un surcoût estimé à 800 M€ pour les coopératives d’ici 2030 et 480 M€ pour la décarbonation industrielle », informe Carole Le Jeune. C’est pourquoi LCA lance la démarche collective « Acte pas à pas », aux côtés de LCA Solutions + et WeCount, pour les aider à construire leur stratégie de décarbonation.
Intégrer les parties prenantes
La chambre d’agriculture du Grand Est aussi se mobilise, avec le programme Carmina lancé début 2025. Son objectif ? « Diffuser les leviers de la transition climatique de l’amont à l’aval, relaye Étienne Lapierre. Certains points de blocages identifiés par l’amont, comme l’absence de développement de légumineuses, peuvent être résolus par l’aval, d’où l’importance d’impliquer tout le monde. » Carmina embarque à la fois coopératives et négoces, organismes techniques (Terrasolis) et acteurs des filières avales (Aria Grand Est, interprofessions viande et lait, etc.). D’une durée de trois ans, le projet s’applique aux grandes cultures, à l’élevage et à la viticulture, et des discussions intra et interfilières ont débuté en janvier pour préciser le plan d’action.
C’est donc bien à l’échelle de l’ensemble des parties prenantes d’un territoire que se joue, in fine, la réussite de la décarbonation de notre agriculture.
Sommaire
Dans les méandres de la rémunération carbone
- Des crédits ou des primes ?
- « Le CRCF va devenir un cadre macro »
- Vivescia, un financement par l’aval
- Tereos joue la carte de la mutualisation
- Adagri en quête de débouchés
- Agro d’Oc génère 40 000 crédits carbone par an
- Axéréal propage l’agriculture régénératrice
- Soufflet privilégie les primes filières
- Un service à la carte chez Cérèsia
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